24 Images no 149 Depuis plus de vingt ans Jeanne Crépeau pratique un cinéma artisanal, qui est aussi intimiste, parfois provocateur, toujours original et n'a de cesse d'être… du cinéma?! La fille de Montréal, le plus récent opus de la cinéaste, devrait être considérée par son sujet et son écriture, comme l'aboutissement harmonieux de cette amoureuse fréquentation du cinéma. L'argument du film est fort simple : après quelque vingt-cinq ans de vie dans un modeste trois-pièces, une femme dans la quarantaine, qu'on devine cinéaste et qu'on croit célibataire, reçoit un avis de reprise de logement. Sa vie bascule : elle doit se reloger, mais surtout perdre le coucher de soleil sur les toits de la rue Duluth qu'elle fréquente depuis trop longtemps. Comme elle nous le confie en voix off, c'est « sa place dans le monde » qui est remise en question. Comme tout vrai film, La fille de Montréal est un film de plans et tout se règle dans les cinq premières minutes : les lieux sont clairement établis, l'ambiance immédiatement créée et les commerçants du quartier nous sont présentés de façon à ce qu'on comprenne bien ce qu'Ariane va quitter. Le drame s'installe avec, en complément, l'humour dont jamais Jeanne Crépeau ne se départ. Et sous de faux airs de film de famille, la mise en scène prend le drame d'Ariane en mains : plans serrés (nous sommes dans un trois-pièces !), éclairages précis – rien ici n'est approximatif même si l'on peut deviner des moments d'improvisation. Le montage sans heurts de Louise Dugal assure l'harmonie finale. Autobiographie (à peine) déguisée, le film est une œuvre fragile qui transmet son émotion avec douceur, â l'image des fondus qui ponctuent son écriture. Émotion aussi dans les souvenirs du personnage : le cancer de la mère, le sida qui emporte l'ami, la tante Aline qui lisait Lénine. Mais, surtout, émotion inscrite dans les images qu'Ariane ne pourra pas emporter avec elle, dans les sons aussi « appelés â disparaître » et si bien traités par Claude Beaugrand. Film de cinéaste sur une cinéaste, La fille de Montréal joue avec drôlerie ce jeu du « c'est moi, mais ce n'est pas moi » auquel nous ont habitués les films de Boris Lehman ou les chroniques matinales de Gilles Archambault. Quiconque connaît un tant soit peu Jeanne Crépeau l'aura très bien reconnue dans son actrice et dans les références qui parsèment le récit du déménagement d'Ariane. Mais distance il y a : la transformation de la Montréalaise en « la fille de Montréal » nous est racontée avec moult clins d'œil cinématographiques, et l'ironie est toujours présente jusque et y compris dans le plan final qui accompagne le générique. Ce film très montréalais (le quartier Duluth/Saint-Laurent, la destruction du théâtre de Quat'Sous, la manifestation contre la guerre en Irak, etc.) se donne au spectateur sur le mode de l'amitié, sans nostalgie fabriquée, dans une confiance totale en l'acte de filmer : l'émotion qu'il nous propose de partager n'en est que plus précieuse. À l'heure où huit camions de location sont toujours garés sous les fenêtres du couple d'amoureux qu'on filme, il est rafraîchissant de redécouvrir le plaisir de filmer la vie qui coule, sans apprêt, simplement en étant là et en sachant regarder. |